Pour ce billet, on fait un grand saut en arrière pour aller
au XIVe siècle, en plein moyen âge féodal : le sujet du jour est la loi
salique, au cœur de deux conflits majeurs de cette époque, la guerre de cent
ans, et la guerre de succession de Bretagne.
L’une des origines de la guerre de cent ans est une question
de succession dans le trône de France, qui s’est trouvé revendiqué par le roi d’Angleterre
de l’époque, Edouard III.
Le roi Philippe IV de France (dit « le bel ») mort
en 1314, a trois fils et une fille. Son fils aîné Louis X lui succède, mais il meurt
en 1316 alors qu’il n’a qu’une fille. Pour la première fois depuis plus de
trois cent ans, il n’y a pas d’héritier mâle direct pour ceindre la couronne de France !
Les pairs de France se réunissent et décident que la fille de Louis X ne peut
pas hériter de la couronne, de peur qu’elle se marie avec un prince étranger qui
exercerait son autorité sur le royaume.
Philippe le Bel interprété par Georges Marchal dans une adaptation des Rois maudits (1972) |
La couronne passe donc au deuxième fils de Philippe le bel,
qui règne sous le nom de Philippe V. Mais il meurt aussi quelques années plus
tard sans laisser d’hériter mâle : la couronne passe à son frère, qui
devient Charles IV. Ce troisième et dernier fils de Philippe IV meurt aussi rapidement,
en 1328, toujours sans héritier direct.
C’est donc un neveu de Philippe le bel, et un cousin des 3 rois précédents,
qui hérite de la couronne : le père de ce Philippe VI, Charles de Valois,
est en effet le frère de Philippe IV. Ce Charles de Valois est donc fils de
roi, frère de roi, trois fois oncle de roi, et père de roi ! Il est le
fondateur de la dynastie dite des Capétiens Valois, pour les distinguer des
capétiens dits « directs », qui régnaient jusqu’alors.
Mais le roi d’Angleterre ne l’entend pas de cette oreille.
Edouard III est le fils d’Edouard II d’Angleterre et d’Isabelle de France, la
fille de Philippe de Bel ! Cet Edouard III est donc le petit fils de
Philippe le Bel par sa mère, et il revendique la couronne de France à son
profit ! Cela déclenche la guerre de cent ans. Cette question dynastique n’est
toutefois la pas la seule cause du conflit, bien qu’elle soit emblématique.
Pour s'y retrouver ... |
Isabelle de France interprétée par S. Marceau dans Braveheart (1995) |
Edouard Ier d'Angleterre, grand père d'Edouard III, interprété Patrick McGoohan, toujours dans Braveheart |
Côté français, pour écarter Edouard III du trône, on invoque
que la couronne de France ne saurait être portée ni même transmise par l’intermédiaire
d’une femme ! Par la suite, à des fins de ce qui ne s’appelait pas encore
propagande, on mettra en avant un article du code de loi des Francs dits « saliens » : un texte vieux de presque mille ans, remanié à de nombreuses reprises, et existant dans
plusieurs versions contradictoires. Dans une de ces versions, il est mentionné
que la terre salique (un concept sujet à de nombreuses interprétations) ne
saurait être donnée en héritage à une femme. La mention de ce texte par un
moine bénédictin en 1350 fut une heureuse découverte habilement exploitée par
le parti français, non sans un brin de complaisance. Dans la suite de l’histoire
de France, cette « loi salique » devient une règle fondamentale du
royaume, qui sera invoquée et appliquée à de nombreuses reprises.
Et maintenant, direction la Bretagne …
En 1341, le duc de Bretagne Jean III meurt sans laisser d’héritier
direct. Mais son frère Guy a eu une fille, Jeanne de Penthièvre, qui s’est
mariée à Charles de Blois, neveu de Philippe VI évoqué plus haut. Du coup,
Charles de Blois, beau fils de feu le frère du précédent duc de Bretagne (ça va
vous suivez ?) revendique le duché de Bretagne grâce à son mariage, en
vertu du « droit de représentation », un élément du droit breton
permettant au mari de l’héritière du duché de la « représenter » en
exerçant le pouvoir.
Château des ducs de Bretagne à Nantes |
Mais le père de Jean III, c’est-à-dire le duc précédent
Arthur II, s’était remarié à la mort de sa première femme, avec qui il avait eu Jean III et Guy de Penthièvre. De ce deuxième lit, il avait eu un fils, Jean de
Montfort, qui revendique à son tour le duché ! Il s’allie avec le roi d’Angleterre,
cela forme le parti « anglo-breton ». C'est l'aubaine pour le roi d'Angleterre qui peut ouvrir un nouveau front dans sa guerre pour obtenir la couronne de France...
Ca se complique ... |
Charles de Blois, chef du parti « franco breton »
grâce à son mariage avec Jeanne de Penthièvre, est donc soutenu par son oncle le
roi Philippe VI de France pour revendiquer le duché de Bretagne qui lui échoit
selon lui par sa femme ! Philippe VI refusant dans le même temps la
couronne de France au roi d’Angleterre puisqu’elle ne saurait être transmise
par une femme…
Et côté anglo-breton, Jean de Montfort appuie ses
revendications ("la couronne du duc passe à l’héritier mâle") sur l’exercice d’une
règle mise en avant par le parti adverse pour écarter son allié le roi d’Angleterre
du trône de France !
Au risque d'être anachronique j'ai envie de parler d'un sacré "réalisme" politique !
On était donc bien parti pour quelques dizaines d’années de
conflit ! C’est la guerre dite de succession de Bretagne, qui s’inscrit
dans la guerre de cent ans.
Un certain Du Guesclin s’illustrera dans cette guerre de
succession de Bretagne, dans le parti franco breton de Charles de Blois. Du
Guesclin deviendra d'ailleurs connétable de France sous Charles V (petit fils de Philippe
VI), c’est-à-dire chef des armées du roi. Charles V ordonna même que ses
ossements soient inhumés dans la basilique Saint Denis aux côté de ceux des
autres rois de France, un très grand honneur. Son coeur est dans l'Eglise Saint Sauveur à Dinan. Ce soutien de Du Guesclin au parti franco breton vaut à ses statues et autres représentations d'être régulièrement taggées ou vandalisées par les indépendantistes bretons...
Gisant de Du Guesclin à la basilique Saint Denis |
Sa sépulture a été profanée comme
les autres en 1793, suite à un célèbre décret de la Convention Nationale établissant
que « Les tombeaux et mausolées des ci-devant rois, élevés dans l'église
de Saint-Denis, dans les temples et autres lieux, dans toute l'étendue de la
république, seront détruits le 10 août prochain ». C’est justement à cette occasion que
la tête d’Henri IV a été détachée du corps, avant d’être retrouvée et authentifiée en 2010 !
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Sources
Maurice Druon, Les rois maudits, 1955
Gui Alexis Lobineau, Histoire de Bretagne, 1707
Ces tableaux me rappelle un certai débat "Nantes n'a jamais été bretonne..."
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