vendredi 4 janvier 2013

Bir Hakeim, ou quand la France relève la tête

Pour ce premier "vrai" billet, je vais vous parler de Bir Hakeim. Un documentaire sur cette bataille de la Seconde Guerre Mondiale a été diffusé sur France 2 l'année dernière, et j'étais allé le voir en avant-première à l'Ecole Militaire. 


Cette bataille a une grande portée symbolique, comme en témoigne la station de la ligne 6 qui porte son nom à Paris (Stalingrad étant la seule autre station parisienne qui porte un nom de bataille de ce conflit). En effet, mi 42, dans le désert libyen, des troupes françaises affrontent des troupes allemandes pour la première fois depuis la défaite de 1940 ! En l'occurrence, il s'agit de troupes françaises dites "libres", en référence à la France Libre que De Gaulle anime de Londres depuis 2 ans. L'armée de l'Etat Français de Vichy, elle, est démantelée dans sa plus grande partie depuis l'armistice de juin 40. Et en 42, ses faibles moyens restants sont résolument tournés contre les Alliés. D'ailleurs, fin 42, on verra des troupes américaines affronter des troupes française vichystes en Afrique du Nord... (mais c'est une autre histoire). Bataille symbolique donc, car pour la première fois la France de De Gaulle, aux côtés de ses alliés anglais, affronte à découvert et la tête haute les troupes du Reich. 



Cette bataille s'illustre aussi par son importance stratégique. Pour la comprendre, un mot sur son contexte. Nous sommes en 1942, et l'Angleterre lutte contre les troupes italo-allemandes en Afrique du Nord. Même si l'URSS et les USA sont désormais entrés en guerre à ses côtés l'année passée (suite aux attaques surprises Barbarossa en juin et Pearl Harbor en décembre), les Anglais sont, en Afrique du Nord, quasiment seuls à défendre leurs intérêts, qui y sont considérables. En effet c'est la clé pour garder le  contrôle maritime de la Méditérranée, et le canal de Suez est indispensable pour acheminer rapidement les hommes et le matériel en provenance d'une bonne partie du British Empire (Inde, Australie, Nouvelle Zélande, etc.). Au début de la guerre, sur ce théâtre d'opérations, les Anglais n'affrontaient que les Italiens, et ils parvinrent à les contenir avec leur VIIIe armée. Mais début 41, Hitler envoie des troupes soutenir les hommes de Mussolini, c'est le fameux "Afrika Korps" du général (futur maréchal) Rommel. Les Anglais sont alors progressivement repoussés de la Libye vers leurs bases égyptiennes. 


Erwin Rommel (1891 - 1944)


La bataille de Bir Hakeim intervient alors que les Anglais, en difficulté, sont forcés de se retirer sur une ligne défensive à quelques kilomètres à l'Ouest de la frontière libyo-égyptienne. Ils s'apprêtent à recevoir l'assaut de Rommel et de ses alliés italiens, qui disposent d'un meilleur ravitaillement que les Anglais, dont la base de Malte est écrasée de bombardements... C'est là que les troupes françaises interviennent. Il s'agit des 3700 hommes de la Iere brigade française libre, commandés par le général Koenig (fait plus tard maréchal lui aussi). 


Marie-Pierre Koenig (1898 - 1970)



Le commandement anglais a placé cette unité hétéroclite (composée de troupes ralliées progressivement dans toute l'empire colonial africain) à l’extrême Sud du dispositif, côté désert, en pensant que l'effort principal ennemi pèserait au Nord de la ligne de défense, côté mer. C'est le contraire qui arriva, puisque Rommel manoeuvra pour contourner les lignes alliées, et ce sont les troupes françaises qui ont encaissé l'attaque  ! Cette bataille se présente donc comme l'assaut des troupes italos-allemandes contre les 3700 Français retranchés. C'est pourquoi on parle du siège de Bir Hakeim ; il ne s'agit pas d'une bataille rangée. 


Alentours de Tobrouk (Libye) - Situation avant la bataille 

L'enjeu pour les troupes françaises, était de tenir le plus longtemps possible, pour permettre aux britanniques de se retirer loin à l'Est, sur El Alamein en Egypte, pour y fortifier leur position et avoir le temps de recevoir les renforts indispensables ! Du 26 mai au 11 juin, Les Français tinrent 16 jours à 1 contre 10, encerclés et pilonnés dans des conditions terribles, avant de réussir de nuit par surprise une sortie victorieuse, leur permettant de regagner les lignes anglaises ! Grâce au temps ainsi gagné, les troupes anglaises réorganisées purent stopper l'Axe en juillet (première bataille d'El Alamein), avant de les vaincre en octobre (deuxième bataille d'El Alamein) et d'entamer une progression victorieuse qui les conduira jusqu'en Tunisie ! 


 « Ce n'est pas la fin, ni même le commencement de la fin. Mais c'est peut-être la fin du commencement ».        

Churchill après El Alamein 



On s'en doute, cette bataille permit à De Gaulle d'obtenir un énorme crédit politique auprès des Alliés. Il faut savoir qu'il a fallu énormément de temps et d'effort à de Gaulle avant de s'imposer comme LA figure de la France libre et le seul interlocuteur concernant les intérêts de la France ; beaucoup de personnages (dont Roosevelt) voyant en lui un ambitieux qui ne cherchait qu'à installer un régime autocratique à son profit en France une fois celle-ci "libérée". Du crédit politique, de Gaulle en avait donc grand besoin, pour obtenir les moyens en armes, en matériels, en véhicules, en argent, dont il manquait cruellement pour que la France continue la lutte contre Hitler. 


« Quand, à Bir-Hakeim, un rayon de sa gloire renaissante est venu caresser le front sanglant de ses soldats, le monde a reconnu la France... »          

De Gaulle à Koenig, après la bataille



De Gaulle en concurrence avec Giraud, le "poulain" de Roosevelt (janvier 43)





Un mot également sur le plan tactique : si les troupes françaises ont si bien tenu, c'est qu'elles étaient bien commandées, suivant les préceptes de la guerre moderne, pas comme en 40 où le haut commandement français en était resté aux vieux principes de 18... 

Sur un plan humain, plusieurs vétérans de cette bataille, interviewés dans le documentaire, étaient présents lors de la projection du documentaire. Leur récit, tout en modestie, de ces journées passées à affronter l'ennemi en surnombre, sous un soleil écrasant et avec peu ou pas d'eau, sous les bombardements continus ennemis, est poignant. L'un d'eux Jean Mathieu Boris, a d'ailleurs raconté cette bataille dans ses souvenirs de la France libre, qui sont passionnants (voir PS). 


Pour toutes ces raisons, cette bataille a été largement étudiée et commentée, et elle fait partie de la "légende" de la France libre, tissée après la guerre, dans un but de réconciliation. Mais contrairement à d'autres aspects du récit de la Résistance, il n'y a nul besoin d'enjoliver la réalité de cette épisode glorieux ! 





PS : "Combattant de la France libre", par Jean Mathieu Boris, extraits ici 

6 commentaires:

  1. First ;)
    Intéressant, je penserai à ton billet qd je passerai par là...

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  2. Merci pour cette remise à jour des conaissances!
    Au plaisir de te lire prochainement (quel sujet?)

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  3. Ha bien sympa. J'avais zéro connaissances sur le sujet. Ce n'est plus le cas

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  4. Je viens de lire plusieurs articles : pas mal du tout ! ;)

    Un détail toutefois, l'URSS ne serait pas en guerre depuis 1939 contre la Pologne puis la Finlande tout en étant l'alliée du IIIe Reich pour fourniture de matières premières contre des armes allemandes et le partage de l'Europe de l'Est ?

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  5. merci pour ta remarque Jolly, j'ai éclairci la phrase en question :) l'URSS n'a pas combattu la Pologne en 39, elle a juste participé au depeçage prévu par le pacte Molotov Ribbentrop, mais en effet elle était en guerre avec la Finlande (qui se battait seule).

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  6. Hey Merci pour cette plongée dans l'histoire.. Je serai un peu plus savant, la prochaine fois que je traverserai la station de métro Bir Hakeim !

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