D'abord quelques mots sur l'hôtel lui-même.
Il s'appelait initialement hôtel de Clisson, du nom du seigneur breton Olivier de Clisson qui l'a fait construire en 1371, en pleine guerre de cent ans. C'est un personnage haut en couleurs qui s'est illustré dans la guerre de succession de Bretagne.
Portrait en pied d'Olivier V de Clisson réalisé en 1635 par Simon Vouet |
Il perd un oeil à la bataille d'Auray en 1364, où il fait partie des chefs du parti anglo-breton de Jean IV de Montfort. C'est ce parti qui remporte la bataille, ce qui marque la fin de la succession pour le duché (mais pas des combats!) avec le traité de Guérande l'année suivante. Olivier de Clission, dit "le borgne d'Auray" et le "boucher", se brouille par la suite avec Jean IV de Montfort désormais reconnu comme duc de Bretagne, et passe au service du roi de France. Il combattra alors les Anglais sur plusieurs théâtres de la guerre de Cent Ans, parfois aux côtés de Du Guesclin, à qui il succédera comme connétable de Charles VI en 1380.
La Bataille d'Auray par Jean Froissart. Notez les bannières des franco bretons à gauche (fleur de lys) et anglo bretons à droite (léopard anglais et fleur de lys) |
C'est donc ce personnage considérable qui se fait construire un manoir en 1371, dont il ne reste aujourd'hui que deux tours.
Les 2 tours encore visibles aujourd'hui rue des Archives |
Délassement catholique dans les rues de Paris le jour de la Saint Barthélémy |
L'hôtel est acheté en 1700 par le prince de Soubise (la famille de Guise s'est éteinte quelques années plus tôt), et largement embelli, grâce à l'argent de sa femme Anne de Rohan-Chabot, maîtresse de Louis XIV. Je ne développe pas l'aspect architectural mais il faut tout de même souligner que la décoration intérieure est remarquable (architecte Delamair) dans le style Rocaille.
Salon de la princesse |
Confisqué sous la Révolution comme bien d'émigrés, l'hôtel est affecté aux Archives impériales en 1808 par Napoléon Ier. Les archives dispersées dans divers dépôts parisiens sont alors progressivement regroupées en ce lieu, qui connait des accroissements successifs. Il faut dire qu'on atteint aujourd'hui le chiffre de six milliards de documents, sur 300 kilomètres de rayonnages... Et ce sans compter les autres sites de Pierrefitte et Fontainebleau, et sans compter les archives de la Défense et des Affaires Etrangères, qui sont gérées à part.
Le site contient l'armoire de fer, deux énormes caissons métalliques enchâssés l'un dans l'autre, qui contient les pièces jugées les plus emblématiques de l'Histoire de France.
Quelques exemples de documents conservés sur ce site :
le mètre et le kilogramme étalon de 1799 : c'est en effet la Révolution Française qui met de l'ordre dans les systèmes de mesure en France, pour assurer l'invariabilité des mesures et s'affranchir de l'arbitraire des unités de mesure seigneuriales. L'introduction de ce système décimal est une vraie révolution dans le calcul des surfaces et des volumes ... Les premiers étalons du mètre et du kilogramme furent fabriqués en 1799 et symboliquement déposés aux Archives de la République
le journal de Louis XVI : ce souverain tenait un journal quotidien. On cite souvent en anecdote ce qu'il a consigné pour la journée du 14 juillet 1789 qui ébranla la monarchie : "Rien". Il faut tout de même relativiser en précisant que de toute manière, chaque entrée tenait sur une ligne (une page par mois), et traitait souvent des activités de sa journée (promenade, chasse, etc.) plutôt que des évènements politiques.
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le testament de Louis XIV : quand il meurt le 1er septembre 1715, la succession du Roi Soleil se présente comme complexe, car son fils et son petit-fils sont morts, et son arrière petit-fils n'a que 5 ans ! C'est le futur Louis XV. Compte tenu de son âge il ne peut régner seul, et se pose donc la question de la régence, par un Grand du Royaume qui exercera le pouvoir en son nom... On imagine évidemment les intrigues et les luttes d'influence qui ont pu se nouer dans un tel contexte ! Louis XIV désigne dans son testament le duc du Maine, son bâtard légitimé, pour devenir régent. Pour beaucoup c'est impensable, seul un prince de sang pouvant exercer une telle charge ! Grâce à une alliance avec le parlement de Paris, le duc d'Orléans s'empresse de faire casser le testament et d'exercer la régence. Cet homme est le fils de "Monsieur", le défunt frère du roi de France.
Louis-Philippe, dernier roi que la France ait connu, est son arrière petit fils. Il s'agit là de la branche cadette des Bourbons, ou "Bourbons d'Orléans", toujours représentée aujourd'hui par le comte de Paris. Il est le chef de file de ceux qu'on appelle les "orléanistes", par opposition aux "légitimistes", partisans des descendants de la branche aînée des Bourbons (dont les derniers représentants à avoir régné sont les trois frères Louis XVI, Louis XVIII et Charles X).
le testament de Napoléon Ier : écrit l'année de sa mort (1821) à Saint Hélène, où il croupissait depuis 1815 après l'épisode dit des Cent-Jours conclu par Waterloo. Il contient la formule restée célèbre "Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé". Ce sera chose faite en 1840 (sous Louis Philippe donc -- Louis XVIII et Charles X n'ayant évidemment marqué aucun empressement pour lui donner une sépulture en France) quand une expédition conduite par le fils de Louis-Philippe, le duc de Joinville, ramène ses cendres en grande pompe jusqu'aux Invalides. Cet évènement a un grand retentissement dans le pays. Hugo y a assisté et détaille la journée dans "Choses vues"
Retour des cendres de Napoléon Ier de Sainte-Hélène. 14 décembre 1840 : L'arrivée de La Dorade à Courbevoie. (1867) par Henri Félix Emmanuel Philippoteaux
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Voilà pour le bref aperçu de l'hôtel de Soubise, que je vous invite à découvrir. L'accès à ses jardins est gratuit et offre des bancs propices au délassement dans un cadre paisible et peu fréquenté !
Sources - G. Martin, 26/1/2013, visite donnée par l'association Paris historique-
Archives Nationales, brochure du musée, mai 2012
Archives Nationales, brochure du musée, mai 2012
Notes - A lire pour les amateur(rice)s de roman historique : Cycle Gui de Clairbois, Pierre Naudin, chez Pocket. Olivier de Clission est un personnage largement développé dans ce roman très documenté