dimanche 27 janvier 2013

L'hôtel de Soubise et les archives nationales

Cette semaine, direction l'hôtel de Soubise situé dans le Marais à Paris. Ce majestueux hôtel particulier accueille le musée des archives nationales, et plusieurs documents majeurs de l'histoire de France. 





D'abord quelques mots sur l'hôtel lui-même. 

Il s'appelait initialement hôtel de Clisson, du nom du seigneur breton Olivier de Clisson qui l'a fait construire en 1371, en pleine guerre de cent ans. C'est un personnage haut en couleurs qui s'est illustré dans la guerre de succession de Bretagne. 



Portrait en pied d'Olivier V de Clisson réalisé en 1635 par Simon Vouet 


Il perd un oeil à la bataille d'Auray en 1364, où il fait partie des chefs du parti anglo-breton de Jean IV de Montfort. C'est ce parti qui remporte la bataille, ce qui marque la fin de la succession pour le duché (mais pas des combats!) avec le traité de Guérande l'année suivante. Olivier de Clission, dit "le borgne d'Auray" et le "boucher", se brouille par la suite avec Jean IV de Montfort désormais reconnu comme duc de Bretagne, et passe au service du roi de France. Il combattra alors les Anglais sur plusieurs théâtres de la guerre de Cent Ans, parfois aux côtés de Du Guesclin, à qui il succédera comme connétable de Charles VI en 1380. 


La Bataille d'Auray par Jean Froissart.
Notez les bannières des franco bretons à gauche (fleur de lys) et anglo bretons à droite (léopard anglais et fleur de lys)





C'est donc ce personnage considérable qui se fait construire un manoir en 1371, dont il ne reste aujourd'hui que deux tours. 

Les 2 tours encore visibles aujourd'hui rue des Archives
Au XVIe siècle, l'hôtel est la propriété de la puissante famille de Guise, chefs de file de la ligue catholique, qui s'illustra pendant les guerres de Religion. C'est d'ailleurs de cet endroit que partiront les séides de ce parti en 1572 le jour de la Saint Barthélémy. 


Délassement catholique dans les rues de Paris le jour de la Saint Barthélémy


L'hôtel est acheté en 1700 par le prince de Soubise (la famille de Guise s'est éteinte quelques années plus tôt), et largement embelli, grâce à l'argent de sa femme Anne de Rohan-Chabot, maîtresse de Louis XIV. Je ne développe pas l'aspect architectural mais il faut tout de même souligner que la décoration intérieure est remarquable (architecte Delamair) dans le style Rocaille. 


Salon de la princesse


Confisqué sous la Révolution comme bien d'émigrés, l'hôtel est affecté aux Archives impériales en 1808 par Napoléon Ier. Les archives dispersées dans divers dépôts parisiens sont alors progressivement regroupées en ce lieu, qui connait des accroissements successifs. Il faut dire qu'on atteint aujourd'hui le chiffre de six milliards de documents, sur 300 kilomètres de rayonnages... Et ce sans compter les autres sites de Pierrefitte et Fontainebleau, et sans compter les archives de la Défense et des Affaires Etrangères, qui sont gérées à part.

Le site contient l'armoire de fer, deux énormes caissons métalliques enchâssés l'un dans l'autre, qui contient les pièces jugées les plus emblématiques de l'Histoire de France.

Quelques exemples de documents conservés sur ce site : 


le mètre et le kilogramme étalon de 1799 : c'est en effet la Révolution Française qui met de l'ordre dans les systèmes de mesure en France, pour assurer l'invariabilité des mesures et s'affranchir de l'arbitraire des unités de mesure seigneuriales. L'introduction de ce système décimal est une vraie révolution dans le calcul des surfaces et des volumes ... Les premiers étalons du mètre et du kilogramme furent fabriqués en 1799 et symboliquement déposés aux Archives de la République

le journal de Louis XVI : ce souverain tenait un journal quotidien. On cite souvent en anecdote ce qu'il a consigné pour la journée du 14 juillet 1789 qui ébranla la monarchie : "Rien". Il faut tout de même relativiser en précisant que de toute manière, chaque entrée tenait sur une ligne (une page par mois), et traitait souvent des activités de sa journée (promenade, chasse, etc.) plutôt que des évènements politiques. 


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le testament de Louis XIV : quand il meurt le 1er septembre 1715, la succession du Roi Soleil se présente comme complexe, car son fils et son petit-fils sont morts, et son arrière petit-fils n'a que 5 ans ! C'est le futur Louis XV. Compte tenu de son âge il ne peut régner seul, et se pose donc la question de la régence, par un Grand du Royaume qui exercera le pouvoir en son nom... On imagine évidemment les intrigues et les luttes d'influence qui ont pu se nouer dans un tel contexte ! Louis XIV désigne dans son testament le duc du Maine, son bâtard légitimé, pour devenir régent. Pour beaucoup c'est impensable, seul un prince de sang pouvant exercer une telle charge ! Grâce à une alliance avec le parlement de Paris, le duc d'Orléans s'empresse de faire casser le testament et d'exercer la régence. Cet homme est le fils de "Monsieur", le défunt frère du roi de France. 

Louis-Philippe, dernier roi que la France ait connu, est son arrière petit fils. Il s'agit là de la branche cadette des Bourbons, ou "Bourbons d'Orléans", toujours représentée aujourd'hui par le comte de Paris. Il est le chef de file de ceux qu'on appelle les "orléanistes", par opposition aux "légitimistes", partisans des descendants de la branche aînée des Bourbons (dont les derniers représentants à avoir régné sont les trois frères Louis XVI, Louis XVIII et Charles X). 

Le Régent en 1717


le testament de Napoléon Ier : écrit l'année de sa mort (1821) à Saint Hélène, où il croupissait depuis 1815 après l'épisode dit des Cent-Jours conclu par Waterloo. Il contient la formule restée célèbre "Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé". Ce sera chose faite en 1840 (sous Louis Philippe donc -- Louis XVIII et Charles X n'ayant évidemment marqué aucun empressement pour lui donner une sépulture en France) quand une expédition conduite par le fils de Louis-Philippe, le duc de Joinville, ramène ses cendres en grande pompe jusqu'aux Invalides. Cet évènement a un grand retentissement dans le pays. Hugo y a assisté et détaille la journée dans "Choses vues"


Retour des cendres de Napoléon Ier de Sainte-Hélène. 14 décembre 1840 : L'arrivée de La Dorade à Courbevoie. (1867) par Henri Félix Emmanuel Philippoteaux 

Voilà pour le bref aperçu de l'hôtel de Soubise, que je vous invite à découvrir. L'accès à ses jardins est gratuit et offre des bancs propices au délassement dans un cadre paisible et peu fréquenté ! 







Sources - G. Martin, 26/1/2013, visite donnée par l'association Paris historique
Archives Nationales, brochure du musée, mai 2012


Notes - A lire pour les amateur(rice)s de roman historique : Cycle Gui de Clairbois, Pierre Naudin, chez Pocket. Olivier de Clission est un personnage largement développé dans ce roman très documenté






    dimanche 20 janvier 2013

    La loi salique et la mauvaise foi au XIVe siècle



    Pour ce billet, on fait un grand saut en arrière pour aller au XIVe siècle, en plein moyen âge féodal : le sujet du jour est la loi salique, au cœur de deux conflits majeurs de cette époque, la guerre de cent ans, et la guerre de succession de Bretagne.

    L’une des origines de la guerre de cent ans est une question de succession dans le trône de France, qui s’est trouvé revendiqué par le roi d’Angleterre de l’époque, Edouard III.
    Le roi Philippe IV de France (dit « le bel ») mort en 1314, a trois fils et une fille. Son fils aîné Louis X lui succède, mais il meurt en 1316 alors qu’il n’a qu’une fille. Pour la première fois depuis plus de trois cent ans, il n’y a pas d’héritier mâle direct pour ceindre la couronne de France ! Les pairs de France se réunissent et décident que la fille de Louis X ne peut pas hériter de la couronne, de peur qu’elle se marie avec un prince étranger qui exercerait son autorité sur le royaume.

    Philippe le Bel interprété par Georges Marchal dans une adaptation des Rois maudits (1972)


    La couronne passe donc au deuxième fils de Philippe le bel, qui règne sous le nom de Philippe V. Mais il meurt aussi quelques années plus tard sans laisser d’hériter mâle : la couronne passe à son frère, qui devient Charles IV. Ce troisième et dernier fils de Philippe IV meurt aussi rapidement, en 1328, toujours sans héritier direct.

    C’est donc un neveu de Philippe le bel, et un cousin des 3 rois précédents, qui hérite de la couronne : le père de ce Philippe VI, Charles de Valois, est en effet le frère de Philippe IV. Ce Charles de Valois est donc fils de roi, frère de roi, trois fois oncle de roi, et père de roi ! Il est le fondateur de la dynastie dite des Capétiens Valois, pour les distinguer des capétiens dits « directs », qui régnaient jusqu’alors.

    Mais le roi d’Angleterre ne l’entend pas de cette oreille. Edouard III est le fils d’Edouard II d’Angleterre et d’Isabelle de France, la fille de Philippe de Bel ! Cet Edouard III est donc le petit fils de Philippe le Bel par sa mère, et il revendique la couronne de France à son profit ! Cela déclenche la guerre de cent ans. Cette question dynastique n’est toutefois la pas la seule cause du conflit, bien qu’elle soit emblématique.

    Pour s'y retrouver ... 

    Isabelle de France interprétée par S. Marceau dans Braveheart (1995)

    Edouard Ier d'Angleterre, grand père d'Edouard III, interprété Patrick McGoohan, toujours dans Braveheart


    Côté français, pour écarter Edouard III du trône, on invoque que la couronne de France ne saurait être portée ni même transmise par l’intermédiaire d’une femme ! Par la suite, à des fins de ce qui ne s’appelait pas encore propagande, on mettra en avant un article du code de loi des Francs dits « saliens » : un texte vieux de presque mille ans, remanié à de nombreuses reprises, et existant dans plusieurs versions contradictoires. Dans une de ces versions, il est mentionné que la terre salique (un concept sujet à de nombreuses interprétations) ne saurait être donnée en héritage à une femme. La mention de ce texte par un moine bénédictin en 1350 fut une heureuse découverte habilement exploitée par le parti français, non sans un brin de complaisance. Dans la suite de l’histoire de France, cette « loi salique » devient une règle fondamentale du royaume, qui sera invoquée et appliquée à de nombreuses reprises.

    Et maintenant, direction la Bretagne …

    En 1341, le duc de Bretagne Jean III meurt sans laisser d’héritier direct.  Mais son frère Guy  a eu une fille, Jeanne de Penthièvre, qui s’est mariée à Charles de Blois, neveu de Philippe VI évoqué plus haut. Du coup, Charles de Blois, beau fils de feu le frère du précédent duc de Bretagne (ça va vous suivez ?) revendique le duché de Bretagne grâce à son mariage, en vertu du « droit de représentation », un élément du droit breton permettant au mari de l’héritière du duché de la « représenter » en exerçant le pouvoir.  

    Château des ducs de Bretagne à Nantes


    Mais le père de Jean III, c’est-à-dire le duc précédent Arthur II, s’était remarié à la mort de sa première femme, avec qui il avait eu Jean III et Guy de Penthièvre. De ce deuxième lit, il avait eu un fils, Jean de Montfort, qui revendique à son tour le duché ! Il s’allie avec le roi d’Angleterre, cela forme le parti « anglo-breton ». C'est l'aubaine pour le roi d'Angleterre qui peut ouvrir un nouveau front dans sa guerre pour obtenir la couronne de France... 

    Ca se complique ... 



    Charles de Blois, chef du parti « franco breton » grâce à son mariage avec Jeanne de Penthièvre, est donc soutenu par son oncle le roi Philippe VI de France pour revendiquer le duché de Bretagne qui lui échoit selon lui par sa femme ! Philippe VI refusant dans le même temps la couronne de France au roi d’Angleterre puisqu’elle ne saurait être transmise par une femme… 

    Et côté anglo-breton, Jean de Montfort appuie ses revendications ("la couronne du duc passe à l’héritier mâle") sur l’exercice d’une règle mise en avant par le parti adverse pour écarter son allié le roi d’Angleterre du trône de France !

    Au risque d'être anachronique j'ai envie de parler d'un sacré "réalisme" politique ! 

    On était donc bien parti pour quelques dizaines d’années de conflit ! C’est la guerre dite de succession de Bretagne, qui s’inscrit dans la guerre de cent ans.  



    Un certain Du Guesclin s’illustrera dans cette guerre de succession de Bretagne, dans le parti franco breton de Charles de Blois. Du Guesclin deviendra d'ailleurs connétable de France sous Charles V (petit fils de Philippe VI), c’est-à-dire chef des armées du roi. Charles V ordonna même que ses ossements soient inhumés dans la basilique Saint Denis aux côté de ceux des autres rois de France, un très grand honneur. Son coeur est dans l'Eglise Saint Sauveur à Dinan. Ce soutien de Du Guesclin au parti franco breton vaut à ses statues et autres représentations d'être régulièrement taggées ou vandalisées par les indépendantistes bretons... 

    Gisant de Du Guesclin à la basilique Saint Denis


    Sa sépulture a été profanée comme les autres en 1793, suite à un célèbre décret de la Convention Nationale établissant que « Les tombeaux et mausolées des ci-devant rois, élevés dans l'église de Saint-Denis, dans les temples et autres lieux, dans toute l'étendue de la république, seront détruits le 10 août prochain ». C’est justement à cette occasion que la tête d’Henri IV a été détachée du corps, avant d’être retrouvée et authentifiée en 2010 !

    Violation des caveaux royaux de Saint-Denis, par Hubert Robert



    ***

    Sources
    Maurice Druon, Les rois maudits, 1955
    Gui Alexis Lobineau, Histoire de Bretagne, 1707




    jeudi 10 janvier 2013

    Fanchon, les ultra royalistes, et le poulet Marengo


    Aujourd’hui je vous propose un billet un peu décousu, qui nous permettra de parler d’Histoire sans trop y faire attention, puisqu’il sera question aussi de chanson à boire et de gastronomie.

    La plupart d’entre vous connaissent sans doute la célèbre chanson « Fanchon », je vous propose de la prendre comme point de départ pour cette promenade en arrière. Elle a été écrite en 1800 par un officier de cavalerie, Antoine-Charles-Louis de Lasalle, alors chef de brigade.

    « Chef de brigade » est un grade éphémère créé pendant la Révolution en remplacement de celui de colonel, un grade qui fleurait trop alors les privilèges de l’Ancien Régime. En effet à l’époque, les grades d’officiers étaient réservés à la noblesse. Comme beaucoup d’autres offices (d’où le nom « officier »), la charge de colonel s’achetait alors au Roi (on parle de « vénalité des charges »). Les régiments étaient alors la propriété de colonels, bien souvent des membres de la haute noblesse passant le plus clair de leur temps à Versailles, loin de la troupe. Le grade de colonel est donc aboli en 1793, sous la Terreur, alors que la guillotine tournait à plein régime. Il sera rétabli en 1803. Entretemps  l’avancement au mérite (dans l’armée et l’ensemble de l’administration) a été introduit et s’est généralisé, ce qui a permis à de nombreux militaires de basse extraction d’accéder aux plus hauts grades. Et ce, d’autant plus facilement que depuis le début de la Révolution, de plus en plus de nobles ont émigré hors de France, libérant de nombreux postes dans l’armée… De plus, un arrêt du Comité de Salut Public de septembre 1793 commande la destitution pure et simple de tous les officiers ci-devant nobles (1), ce qui fera quadrupler le nombre de généraux roturiers entre 1793 et 1794 (2).

    Machine à raccourcir les ennemis de la Nation

    « Ci-devant » est une locution très en vogue à l’époque, placée devant tout concept de l’Ancien Régime, entretemps aboli. Par exemple, à Paris, la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde) fut parfois désignée comme la « ci-devant place Louis XV ». Elle est ensuite rebaptisée place Louis XVI à la Restauration (c'est-à-dire après la chute de Napoléon en 1815), sous le règne des deux frères cadets de Louis XVI : Louis XVIII et Charles X. Tous deux avaient émigrés pendant la Révolution. Charles X, connu alors sous le titre de Comte d’Artois, fut d’ailleurs l’un des premiers à partir (16 juillet 1789) et à lancer le mouvement parmi les nobles.
    En effet le comte d’Artois était un fervent partisan d’une ligne dure face à la Révolution, et l’émigration était un moyen pour lui de chercher à l’étranger une aide militaire pour rétablir la monarchie absolue. Quand son frère Louis XVIII est remonté sur le trône après l’aventure impériale, il fut le chef de file des Ultras, (pour ultra royalistes), les partisans d’une ligne « dure » réclamant des mesures en faveur d’un retour à la monarchie « façon XVIIIe siècle ». C’est à propos d’eux que l’expression « être plus royaliste que le roi » fut forgée… Une fois monté sur le trône et devenu Charles X, cette ligne réactionnaire finit par déclencher la Révolution de Juillet en 1830, pour donner naissance au régime du même nom…Ce qui fait que Charles X fut le dernier Roi de France, son successeur, Louis-Philippe, régnant sous le nom de Rois des Français. 


    Louis XVIII
    Charles X



    Pour en revenir à Lasalle, il était officier de hussards, c'est-à-dire de cavalerie dite « légère », au même titre que les lanciers ou les chasseurs à cheval, et par opposition aux cuirassiers ou aux carabiniers, qui font partie de la cavalerie lourde (ou grosse cavalerie). Les hussards combattaient au sabre et à la carabine, sans cuirasse ou casque métallique. Shako, pelisses, et dolmans aux couleurs vives composaient leur uniforme. Ces hommes avaient une solide réputation de militaires ombrageux, fiers et bons vivant, comme vous allez le voir plus loin.




    Un hussard en 1805
    Charge de hussards à Friedland (1807)


    Le film « les duellistes » de Ridley Scott (adapté du roman de Joseph Conrad) raconte l’histoire de deux officiers de hussards qui s’affrontent en duel à chacune de leurs rencontres. Bien que le motif de la dispute soit futile, l’honneur est en jeu, avec lequel on ne badinait pas à l’époque… Le film offre une très belle esthétique et des costumes magnifiques, ainsi que l’occasion de voir Harvey Keitel à ses débuts : je vous le recommande !




    Harvey Keitel dans "The duellists"



    Vous pouvez regarder une scène de ce film ici



    Né en 1775, et issu d’une famille de petite noblesse, Lasalle est entré très jeune dans l’armée. Sous-lieutenant en 1792, il doit alors renoncer, comme ci-devant noble, à son grade. Qu’à cela ne tienne, il s’engage comme simple volontaire. Il gravira alors tous les échelons jusqu’au grade de général de division.




    Lasalle



    Lasalle faisait honneur à la réputation des hussards, et les anecdotes piquantes à son sujet sont légion. Sa phrase « Tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre » est d’ailleurs restée célèbre. Laissons le baron Marbot nous parler du bonhomme dans ses Mémoires : «Lasalle était un bel homme, spirituel, mais qui, quoique instruit et bien élevé, avait adopté le genre de se poser en sacripant. On le voyait toujours buvant, jurant, chantant à tue-tête, brisant tout, et dominé par la passion du jeu. Il était excellent cavalier et d’une bravoure poussée jusqu’à la témérité. ».




    Lasalle à Wagram (1809)



    Autre anecdote, toujours racontée par Marbot. Lasalle était très apprécié de l’empereur, qui « le gâtait à un point vraiment incroyable, riant de toutes ses fredaines et ne lui laissant jamais payer ses dettes. Lasalle était sur le point d’épouser [une dame française de haut parage], et Napoléon lui avait fait donner deux cent mille francs sur sa cassette. Huit jours après, il le rencontre aux Tuileries et lui demande : "A quand la noce ? – Elle aura lieu, Sire, quand j’aurai de quoi acheter la corbeille et les meubles. – Comment ! mais je t’ai donné deux cent milles francs la semaine dernière… qu’en as-tu fait ? – J’en ai employé la moitié à payer mes dettes, et j’ai perdu le reste au jeu !... ". Un pareil aveu aurait brisé la carrière de tout autre général ; il fit sourire l’Empereur, qui, se bornant à tirer assez fortement la moustache de Lasalle, ordonna au maréchal Duroc de lui donner encore deux cent milles francs ».

    C’est donc ce joyeux luron qui a composé les paroles de Fanchon. A l’époque on recourrait souvent à des airs connus pour créer une chanson populaire, en l’occurrence, si les paroles sont de Lasalle, l’air vient d’une autre chanson, « Amour, laisse gronder ta mère ».

    Les paroles d’origine sont les suivantes :

    Amis, il faut faire une pause

    J´aperçois l´ombre d´un bouchon
    Buvons à l´aimable Fanchon
    Pour elle, faisons quelque chose
     {Refrain:} 
    Ah, que son entretien est doux!

    Qu´elle a de mérite et de gloire!
    Elle aime à rire, elle aime à boire
    Elle aime à chanter comme nous

    Fanchon, quoique bonne chrétienne,

    Fut baptisée avec du vin
    Un Allemand fut son parrain
    Une Bretonne sa marraine
    {au Refrain}

    Elle préfère une grillade

    Aux repas les plus délicats
    Son teint prend un nouvel éclat
    Quand on lui verse une rasade
    {au Refrain}

    Si quelquefois elle est cruelle

    C´est quand on lui parle d´amour
    Mais moi, je ne lui fais la cour
    Que pour m´enivrer avec elle
    {au Refrain}

    Un jour, le voisin la Grenade

    Lui mit la main dans son corset
    Elle riposta d´un soufflet
    Sur le museau du camarade
    {au Refrain}


    Au-delà des légères différences avec la version que vous connaissez, et qui ne modifient guère le sens des paroles, ceux qui l’ont déjà chanté auront remarqué que dans la version d’origine, c’est un Allemand et non un Bourguignon qui « fut son parrain » (2ème couplet) ! En effet la chanson a été modifiée suite à la guerre de 1870 opposant Napoléon III (neveu du Ier) à Bismark, et qui s’est soldé comme chacun sait par la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine (et la chute de Napoléon III, pour donner naissance à la IIIe République, après l’épisode de la Commune à Paris). « L’esprit de revanche » qui devait être l’un des facteurs conduisant à la Ière Guerre Mondiale a donc laissé sa marque sur Fanchon !

    Napoléon III et Bismark après la bataille de Sedan




    Je termine sur la note gastronomique promise. En effet le champ de bataille de Marengo a été non seulement le théâtre de l’écriture de Fanchon, mais aussi celui de l’invention ce jour-là, par un certain Dunan (chef cuistot de Bonaparte) de la recette du poulet Marengo ! Comme je n’en ai jamais cuisiné ou goûté, je t’invite donc, cher lecteur ou lectrice, à partager ton expérience sur le sujet !


    Quant à moi, je vais faire une pause, j’aperçois l’ombre d’un bouchon … 


    PS : je dédie ce billet à un ultra royaliste, qui, sur le champ de bataille de Munich, inventa le ninja poulet ! Ce jour là il avait chanté Fanchon ... 


    ***




    Sources

    Page 431, Du Marsan, « Chansons nationales et populaires de France », 1846, Gabriel de Gonet éditeur.

    Pages 63-64, Joseph Vingtrinier, « 1792-1902, Chants et chansons des soldats de France », 1902, Albert Méricant éditeur

    Chapitre XXIV, Général baron de Marbot, Mémoires, Mercure de France


    ***
    Notes : 



    (1) « Tous les ci devant nobles qui ont des emplois dans les armées de la République seront  destitués sur le champ» Arrêté signé par Collot d'Herbois et Billaud-Varennes, daté du 16 septembre 1793, [Paris].

    (2)  Michel Biard, Pascal Dupuy, La Révolution française: Dynamique et ruptures 1787-1804, 2008, Armand Colin,

    vendredi 4 janvier 2013

    Bir Hakeim, ou quand la France relève la tête

    Pour ce premier "vrai" billet, je vais vous parler de Bir Hakeim. Un documentaire sur cette bataille de la Seconde Guerre Mondiale a été diffusé sur France 2 l'année dernière, et j'étais allé le voir en avant-première à l'Ecole Militaire. 


    Cette bataille a une grande portée symbolique, comme en témoigne la station de la ligne 6 qui porte son nom à Paris (Stalingrad étant la seule autre station parisienne qui porte un nom de bataille de ce conflit). En effet, mi 42, dans le désert libyen, des troupes françaises affrontent des troupes allemandes pour la première fois depuis la défaite de 1940 ! En l'occurrence, il s'agit de troupes françaises dites "libres", en référence à la France Libre que De Gaulle anime de Londres depuis 2 ans. L'armée de l'Etat Français de Vichy, elle, est démantelée dans sa plus grande partie depuis l'armistice de juin 40. Et en 42, ses faibles moyens restants sont résolument tournés contre les Alliés. D'ailleurs, fin 42, on verra des troupes américaines affronter des troupes française vichystes en Afrique du Nord... (mais c'est une autre histoire). Bataille symbolique donc, car pour la première fois la France de De Gaulle, aux côtés de ses alliés anglais, affronte à découvert et la tête haute les troupes du Reich. 



    Cette bataille s'illustre aussi par son importance stratégique. Pour la comprendre, un mot sur son contexte. Nous sommes en 1942, et l'Angleterre lutte contre les troupes italo-allemandes en Afrique du Nord. Même si l'URSS et les USA sont désormais entrés en guerre à ses côtés l'année passée (suite aux attaques surprises Barbarossa en juin et Pearl Harbor en décembre), les Anglais sont, en Afrique du Nord, quasiment seuls à défendre leurs intérêts, qui y sont considérables. En effet c'est la clé pour garder le  contrôle maritime de la Méditérranée, et le canal de Suez est indispensable pour acheminer rapidement les hommes et le matériel en provenance d'une bonne partie du British Empire (Inde, Australie, Nouvelle Zélande, etc.). Au début de la guerre, sur ce théâtre d'opérations, les Anglais n'affrontaient que les Italiens, et ils parvinrent à les contenir avec leur VIIIe armée. Mais début 41, Hitler envoie des troupes soutenir les hommes de Mussolini, c'est le fameux "Afrika Korps" du général (futur maréchal) Rommel. Les Anglais sont alors progressivement repoussés de la Libye vers leurs bases égyptiennes. 


    Erwin Rommel (1891 - 1944)


    La bataille de Bir Hakeim intervient alors que les Anglais, en difficulté, sont forcés de se retirer sur une ligne défensive à quelques kilomètres à l'Ouest de la frontière libyo-égyptienne. Ils s'apprêtent à recevoir l'assaut de Rommel et de ses alliés italiens, qui disposent d'un meilleur ravitaillement que les Anglais, dont la base de Malte est écrasée de bombardements... C'est là que les troupes françaises interviennent. Il s'agit des 3700 hommes de la Iere brigade française libre, commandés par le général Koenig (fait plus tard maréchal lui aussi). 


    Marie-Pierre Koenig (1898 - 1970)



    Le commandement anglais a placé cette unité hétéroclite (composée de troupes ralliées progressivement dans toute l'empire colonial africain) à l’extrême Sud du dispositif, côté désert, en pensant que l'effort principal ennemi pèserait au Nord de la ligne de défense, côté mer. C'est le contraire qui arriva, puisque Rommel manoeuvra pour contourner les lignes alliées, et ce sont les troupes françaises qui ont encaissé l'attaque  ! Cette bataille se présente donc comme l'assaut des troupes italos-allemandes contre les 3700 Français retranchés. C'est pourquoi on parle du siège de Bir Hakeim ; il ne s'agit pas d'une bataille rangée. 


    Alentours de Tobrouk (Libye) - Situation avant la bataille 

    L'enjeu pour les troupes françaises, était de tenir le plus longtemps possible, pour permettre aux britanniques de se retirer loin à l'Est, sur El Alamein en Egypte, pour y fortifier leur position et avoir le temps de recevoir les renforts indispensables ! Du 26 mai au 11 juin, Les Français tinrent 16 jours à 1 contre 10, encerclés et pilonnés dans des conditions terribles, avant de réussir de nuit par surprise une sortie victorieuse, leur permettant de regagner les lignes anglaises ! Grâce au temps ainsi gagné, les troupes anglaises réorganisées purent stopper l'Axe en juillet (première bataille d'El Alamein), avant de les vaincre en octobre (deuxième bataille d'El Alamein) et d'entamer une progression victorieuse qui les conduira jusqu'en Tunisie ! 


     « Ce n'est pas la fin, ni même le commencement de la fin. Mais c'est peut-être la fin du commencement ».        

    Churchill après El Alamein 



    On s'en doute, cette bataille permit à De Gaulle d'obtenir un énorme crédit politique auprès des Alliés. Il faut savoir qu'il a fallu énormément de temps et d'effort à de Gaulle avant de s'imposer comme LA figure de la France libre et le seul interlocuteur concernant les intérêts de la France ; beaucoup de personnages (dont Roosevelt) voyant en lui un ambitieux qui ne cherchait qu'à installer un régime autocratique à son profit en France une fois celle-ci "libérée". Du crédit politique, de Gaulle en avait donc grand besoin, pour obtenir les moyens en armes, en matériels, en véhicules, en argent, dont il manquait cruellement pour que la France continue la lutte contre Hitler. 


    « Quand, à Bir-Hakeim, un rayon de sa gloire renaissante est venu caresser le front sanglant de ses soldats, le monde a reconnu la France... »          

    De Gaulle à Koenig, après la bataille



    De Gaulle en concurrence avec Giraud, le "poulain" de Roosevelt (janvier 43)





    Un mot également sur le plan tactique : si les troupes françaises ont si bien tenu, c'est qu'elles étaient bien commandées, suivant les préceptes de la guerre moderne, pas comme en 40 où le haut commandement français en était resté aux vieux principes de 18... 

    Sur un plan humain, plusieurs vétérans de cette bataille, interviewés dans le documentaire, étaient présents lors de la projection du documentaire. Leur récit, tout en modestie, de ces journées passées à affronter l'ennemi en surnombre, sous un soleil écrasant et avec peu ou pas d'eau, sous les bombardements continus ennemis, est poignant. L'un d'eux Jean Mathieu Boris, a d'ailleurs raconté cette bataille dans ses souvenirs de la France libre, qui sont passionnants (voir PS). 


    Pour toutes ces raisons, cette bataille a été largement étudiée et commentée, et elle fait partie de la "légende" de la France libre, tissée après la guerre, dans un but de réconciliation. Mais contrairement à d'autres aspects du récit de la Résistance, il n'y a nul besoin d'enjoliver la réalité de cette épisode glorieux ! 





    PS : "Combattant de la France libre", par Jean Mathieu Boris, extraits ici 

    jeudi 3 janvier 2013

    Qu'est-ce que ce blog ?


    Je suis passionné d'Histoire depuis l'enfance. Mais plutôt que d'en faire mon métier, j'ai voulu que ça reste un plaisir avant tout. J'adore me plonger dans des époques révolues, proches ou lointaines, et essayer de me figurer la société d'alors, à hauteur des hommes d'Etat comme des plus humbles. J'aime comprendre les successions de dynasties, de régimes, d'alliances, et découvrir tout ce que cela a changé dans la vie du pays (...en effet mon intérêt est surtout centré sur l'histoire de France...). 

    Donc j'aime apprendre l'Histoire en lisant et en écoutant les spécialistes, et j'aime aussi en parler, voire l'expliquer, pour les sujets que j'ignore le moins! Parler d'Histoire, ce sera donc bien sûr l'objet de ce blog, j'espère que certains prendront plaisir à me lire ! En tout cas je pense que j'en prendrai beaucoup à écrire, et à garder une trace des conférences ou lectures qui m'ont marqué. J'espère que ça m'aidera aussi à m'en souvenir car je retiens peu ! Fichue mémoire ... 

    Et en illustration de ce premier billet : je devais avoir 5 ou 6 ans lorsqu'en visitant un château en famille (château de la Hunaudaye dans les Côtes d'Armor), j'ai été "équipé" en chevalier, le temps d'un rêve et de quelques photos ! sans doute mon plus vieux souvenir lié à l'Histoire... 


    Bref, bienvenue sur mon blog, et à bientôt j'espère !