dimanche 5 mai 2013

Une page de pub



Aujourd’hui je vous propose un détour par la Bibliothèque Forney. Elle occupe l’hôtel des archevêques de Sens, un des monuments de mon quartier que je préfère. Cette bibliothèque propose régulièrement des expositions, et celle sur  « L’Histoire de France racontée par la publicité » sera le prétexte pour le billet du jour ! 

Je ne m’étendrai pas sur l’histoire de l’hôtel, je vous invite plutôt à jeter un œil aux photos… 


Façade Est


Façade Ouest côté jardin
Un boulet de canon tiré lors de la Révolution de Juillet en 1830 est visible sur la façade Est où il est resté fiché

Une petite anecdote sur l’hôtel lui-même avant de passer à l'expo : Marguerite de Valois, dite la Reine Margot, y a résidé quelques années. Elle s’était marié avec son cousin Henri de Navarre (futur Henri IV) en 1572. La Saint Barthélémy survient d’ailleurs quelques jours après ce mariage, alors que le parti protestant est réuni à Paris pour les noces d’Henri et Marguerite (Henri était alors « huguenot », c’est-à-dire protestant).  Marguerite avait trois frères, qui ont tous régné sur la  France pendant la deuxième moitié du XVIe siècle (François II, Charles IX, Charles III)… mais ils sont tous morts sans héritiers (même schéma qu’avec Philippe le Bel au XIVe siècle donc !). 


Jean Teulé a publié l'année dernière un roman relatant la folie de Charles IX et son rôle dans la Saint Barthélémy


C’est donc Henri de Navarre, le mari et cousin de Marguerite, qui monte sur le trône de France sous le nom d’Henri IV en 1589 : c’est le début du règne des Bourbons. Mais les années passent et Henri IV reste lui aussi sans héritier : Marguerite était stérile. C’est une des raisons pour lesquelles il fera annuler le mariage par le pape en 1599 (comme Napoléon et Joséphine en 1809). C’est après cette annulation que Marguerite a résidé quelque temps à l’hôtel de Sens. 


J’en reviens à l’exposition, qui présente une série d’affiches publicitaires de la fin XIXe / début XXe, qui présentent toutes des références historiques.  En voici quelques exemples : 


Réclame pour la Loterie Nationale reprenant l’épisode de la capture de Du Guesclin à la bataille d’Auray, pendant la Guerre de Succession de Bretagne (voir ce billet ;) )


Réclame pour le chocolat Henry ; Henri IV porte l’écharpe blanche, emblème des protestants qu’il a conservé après sa conversion au catholicisme. 


Réclame pour les machines à écrire Empire mettant en scène Napoléon dictant ses mémoires à Sainte Hélène

Réclame pour le poële Tzarine, sur fond de retraite de Russie en 1812 (voir ce billet ;) )
Cette publicité diffusée peu avant le début de la Première Guerre Mondiale montre les souverains de la Triple Entente à la frontière franco-allemande. A noter, le tsar d’une Russie malade est soutenu par le Président français Fallières et Edouard VII (arrière-grand-père d’Elisabeth II)


Réclame pour les graines Sanrival datant d’une époque sombre de notre histoire où le retour à la Terre était très ‘in’  ("La Terre de ment pas !")



Autre affiche d’avant (première) guerre montrant le brave troupier français « bon pied bon œil » face au soldat allemand figé dans un maintien rigide et non équipé du « spécifique » (médicament) pour les cors au pied… 

Affiche pour le centenaire du Picon, inventé en Algérie  en 1837 au début de la colonisation (démarrée en 1830 sous Charles X, le dernier roi Bourbon)

L’expo offrait aussi une vitrine sur l’évolution de l’enseignement de l’histoire de France, présentant plusieurs manuels scolaires du XIXe et XXe siècle. 

La page sur Vercingétorix  de ce manuel de 1929 offre une présentation manichéenne à souhait de la guerre des Gaules ! 


Ce qui m’a frappé dans cette exposition, c’est qu’elle montre à quel point l’Histoire avait une place importante dans l’imaginaire collectif des Français de la fin du XIXe ou du début XXe. En mettant en scène des personnages célèbres de l’Histoire de France, les publicitaires de l’époque utilisaient des références et des codes connus de tous. Les produits représentés bénéficiaient ainsi de l’aura de ces hommes d’Etat ou figures historiques, qui véhiculaient alors de la grandeur, de la noblesse, de la réussite. A cette époque « pré mondialisation », ces personnages faisaient partie du cadre de référence du Français moyen. 

On peut tenter d'avancer plusieurs explications à cela. D’abord, un enseignement de l’Histoire, alors centré sur celle de la France en particulier, et expliqué à travers le prisme d’une vision « franco-française » patriotique faisant peu de cas des points de vues d’autres pays (ou colonies). Cette focalisation était également fort bien relayée par le pouvoir politique de la IIIe République, qui a largement utilisé les figures historiques (comme Jeanne d’Arc) pour forger une histoire commune, et préparer la revanche après la défaite de 1870. Ces symboles nationaux permettaient aussi de renforcer l'unité du pays face à des particularismes régionaux très marqués (Pays basque, Corse, Bretagne, Nord, etc.). De plus à l’époque c’était bien l’Europe, et en particulier l’Angleterre et la France (via leurs empires coloniaux), qui dominaient le monde et exportait leurs modèles (sociétal, culturel, etc.). Dans ce contexte on peut supposer que la représentation de figures historiques ait été porteuse (du moins plus qu’aujourd’hui), et que les publicitaires de l’époque aient voulu y associer leurs produits pour maximiser l’impact sur le chaland.

Le contraste avec la situation actuelle est forcément saisissant. D’abord les égéries des marques publicitaires sont désormais majoritairement issues du « star system »: personnalités du cinéma, de la mode, du sport... Les « héros » modernes, ou du moins les personnalités qui fascinent ou enthousiasment le pékin moyen ou la sacro-sainte ménagère de moins de 50 ans, n’ont plus guère de portée historique. Par ailleurs les personnalités anglo-saxonnes sont évidemment bien plus représentées qu’il y a un siècle : la domination culturelle américaine est passée par là… 

Naturellement ce recul des références historiques dans la publicité est l’arbre qui cache la forêt. En dépit d’une offre culturelle sur l'Histoire importante et variée (presse et publications spécialisées, musées et expositions, chaînes de télévision, émission de radio, etc.), de manière générale, l’Histoire de France est beaucoup moins présente qu’il y a un siècle dans les médias « généralistes » et dans l’imaginaire collectif. Au contraire, la remise en cause du « modèle français » et la vision d’une France « en déclin » marquent une rupture, qui va de pair avec une méconnaissance et un désintérêt grandissants de ce trésor national qu’est notre Histoire… Dommage ! 

Le savoir-faire français en termes de crédit-conso pour tondre un maximum les clients-moutons : un nouveau symbole national ?


1 commentaire:

  1. Les Lumières ont représenté le summum de l'Esprit français dans l'élite, le populo l'a eu dans la seconde moitié du XIXe. Depuis, la moyenne moyenne à la baisse. En grande partie de notre propre faute.....

    J.

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